Christian Grenier rakontas...
Christian Grenier raconte...
L'ORIGINE DE CET OUVRAGE
L'envie, totalement gratuite, de renouer avec
l'univers poétique de mon adolescence.
Car en 1960, j'écrivais ce genre de récits poétiques, plus soucieux de
raconter une histoire et de plonger le lecteur dans une ambiance
particulière que de rivaliser avec Rimbaud ou Desnos. Ni poésie, ni
conte, ni nouvelle, ce récit hésitait entre plusieurs genres
littéraires, il flirtait avec le fantastique et la SF, il se révélait
trop difficile à aborder par des enfants et à la fois trop court et
trop proche de l'univers des contes pour toucher les adultes. Bien
entendu, je savais pertinemment que c'était là un OVNI impubliable.
Mon Tyran a donc été lu au départ par ma femme et quelques amis ;
et il est resté dans un tiroir, comme un certain nombre de récits que
j'écris pour le plaisir, dans l'absolu, en sachant que leur publication
frise l'impossible.
UNE
RENCONTRE ET UN INCIDENT IMPREVUS
En novembre 2001 — le 24, jour de
l'anniversaire de ma femme ! — je me retrouve en compagnie de
Philippe Barbeau et de quelques autres auteurs au petit Salon du Livre
d'Ay en Champagne. J'ai à ma droite un inconnu barbu, devant lequel se
dressent deux piles de livres et des lithos. Oh, nous nous sommes
salués poliment en arrivant et j'ai même jeté un coup d'œil sur ses et
compris qu'il était illustrateur.
Ses lithos semblent très belles, il les vend 50 F pièce.
La matinée coule, le public est rare et vers dix heures, je vais nous
chercher trois cafés ; mais comme nous signons derrière des
tables, je dois exécuter une acrobatie pour repasser sur ma chaise et
bien entendu, je renverse du café sur la pile de lithos de mon voisin.
Je bafouille des excuses, tamponne, essuie. Mais la première litho de
la pile est irrémédiablement tachée. Je m'en empare :
— Bien entendu, cher collègue, je te l'achète.
— Ah, Christian, je t'en fais cadeau. Si, si, j'insiste. Et je te
la dédicace, bien sûr. Oh, attends...
Habilement, le dessinateur — j'apprends qu'il s'appelle François
Schmidt — utilise les taches pour enrichir sa litho et me la
transformer en un tableau personnalisé. J'avoue, sincèrement
admiratif :
— C'est superbe. Il y a là un univers onirique qui me fascine. Un
mélange de Siudmak et d'Eischer. J'apprécie énormément.
François me rappelle qu'il est prof de dessin, peintre, qu'il expose
mais que sur le plan éditorial, sa production est mince et
confidentielle ; ce qu'il a montré aux éditeurs déroute, et je me
mets à leur place.
Tout à coup, je comprends pourquoi son univers me fascine :
— Tu sais, dis-je à Annette, à quels mondes ces dessins me font
penser ? Ceux de mon vieux récit « Le tyran, le luthier
et le temps » !
Elle approuve. Intéressé, François me demande :
— Ce récit, tu pourrais me l'envoyer ? Je serais content de le
lire, de voir s'il m'inspire.
Rentré chez moi, au Fleix, je retrouve mon
vieux Tyran et je l'envoie à François qui, aussitôt, me rappelle :
— Ça me plaît énormément. Je me suis mis au travail.
Je proteste : ce texte est impubliable et François travaille sans
doute pour rien.
— Mais je travaille pour moi, rassure-toi.
Et puis je réfléchis. Il y a un éditeur un peu hors norme qui
publierait peut-être bien mon histoire : Olivier Belhomme, à
l'Atelier du Poisson Soluble. Ses albums sont magnifiques, originaux,
luxueux.
Certes, il en vend peu mais Olivier adore son métier, il fait lui-même
ses dépôts en librairie. Evidemment, publier au Poisson Soluble, c'est
avoir l'assurance de vendre peu mais de rejoindre une sorte d'élite
littéraire et graphique.
Du coup, je lui envoie mon texte en lui résumant ma rencontre avec
François et en lui précisant :
— Si mon histoire te plaisait, j'ai l'illustrateur qui va exactement
avec.
Chez les grands éditeurs, c'est exactement ce qu'il faut faire si l'on
veut avoir une fin de non-recevoir : ils ont horreur de ce genre
de paquet-cadeau, ils préfèrent accepter un texte, le faire
retravailler sur mesure à l'auteur, puis demander au directeur
artistique de trouver un illustrateur... et le résultat de cette
cuisine longue, coûteuse et complexe est souvent à mes yeux un livre
raté. J'ai hélas plein d'exemples à l'appui de cette conviction.
En même temps, je préviens François et lui demande d'envoyer à
l'Atelier du Poisson Soluble des photocopies de son travail.
Là, le miracle se produit. Quinze jours plus tard, la réponse d'Olivier
arrive :
— Ton texte correspond tout à fait à ce que je cherche. Et le travail
de François nous convient parfaitement.
François, qui a pris contact avec Olivier m'appelle un jour pour me
déclarer :
— Je vis un rêve ! Quand j'ai demandé à Olivier et à son
collaborateur Stéphane quels seraient le format, le papier, la typo, le
nombre des illustrations, ils m'ont simplement répondu :
— Fais ce que tu veux, et comme tu le sens : format, choix du
papier, typo, couleurs, nombre de dessins...
François a passé un temps fou sur ses illustrations mais le résultat
est, je crois, à la mesure de son travail : somptueux.
Cet album est à mes yeux le plus beau livre que j'aie eu l'occasion de
concevoir, et celui qui, à sa sortie, m'a procuré le plus de
plaisir !
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